Les huit montagnes, c’est d'abord l’histoire d’une passion pour les montagnes du Val d'Aoste : un hommage à la rudesse et magie des randonnées pédestres. Ce livre est aussi celui d’une longue amitié, silencieuse mais toujours sincère, entre Pietro, le jeune Milanais et Bruno, l’enfant des montagnes. Ce premier roman autobiographique à la prose impeccable aborde de nombreuses problématiques humaines, notamment les difficultés père-fils.
Paolo Cognetti, jeune écrivain d'une quarantaine d’années, a été récompensé par le prix Strega 2017 (l'équivalent du prix Goncourt italien) et le prix Médicis étranger pour Les huit montagnes.
L'histoire
Le père de Pietro travaille comme ingénieur chimiste dans un contexte industriel et social compliqué qui le rend malheureux. Dans le Val d'Aoste où il se rend chaque été pour les vacances, il renaît au contact des montagnes. Sa grande fierté est de pouvoir emmener Pietro et Bruno sur les glaciers vertigineux. La mère quant à elle travaille dans le soin à l'enfance maltraitée et développe un réseau important d'amies. Le temps des vacances, elle s'occupe de l'éducation scolaire de Bruno, livré à lui-même. Elle est dans la parole et l'aide, tandis que son père se renferme dans la solitude.
Chaque été Pietro rejoint donc Bruno à Grana, petit village à proximité du majestueux massif du Mont Rose. C'est le temps pour les deux gamins de s'épanouir en vagabondant dans les ruisseaux, près et forêts. Ils explorent des mines désaffectées, les chaumières abandonnées. Ils pêchent la truite bleue dans les coins protégés des torrents. Dans ces échappées belles, ils tissent au fil des années les liens d'une solide amitié.
A la fin de l'adolescence, leurs chemins de vie se séparent durant une longue période de vingt ans. Les relations entre Pietro et son père ne cessent de se dégrader, jusqu'à ce que le contact soit définitivement rompu. Pietro devient cinéaste de documentaires (tout comme l'auteur). Il effectue plusieurs voyages en Himalaya. De son côté, Bruno reste accroché à sa montagne natale et travaille en tant qu'artisan maçon.
Le destin les fait se rencontrer à nouveau pour restaurer ensemble une baite, héritage mystérieux transmis par le père de Pietro, au-dessus de Grana. Une période heureuse s'en suit avant que chacun ne reprenne le cours de son existence... jusqu'au drame final.
Des thèmes universels
Cette histoire n'est pas une banale fable alpestre, mais bien un récit humaniste aux accents universels. Inspiré par Mark Twain au début, quand Pietro et Bruno enfants s'aventurent dans la nature, le roman tire ensuite du côté d'Hemingway dans les thèmes abordés. La vie spartiate de Bruno, faite d'abnégation pour mener à bien son projet dans une montagne sans pitié, n'est pas sans faire penser au vaillant pêcheur cubain du livre Le vieil homme et la mer, qui se bat en vain contre une mer hostile pour ramener à bon port son espadon exceptionnel.
Les huit montagnes parle également de la difficulté pour les hommes à construire de véritables liens avec leurs semblables. Le père de Pietro en est un exemple caractéristique. Son fils Pietro n'arrive pas à se stabiliser dans ses relations aux femmes. Et Bruno fera les frais de son entêtement et isolement. Plus ancrées dans la réalité du monde, les femmes qui traversent le roman (et les femmes en général) sont nettement plus douées en ce domaine.
Terminons par la « colle philosophique » que pose le père de Pietro à son enfant, au bord d'un ruisseau. « Si l'endroit où on se baigne représente le présent, où se trouve l'avenir ? », l’interroge-t-il en substance. Plutôt du côté de la source du cours en direction des sommets du massif ou au contraire vers le bas ? On pourrait penser que si le cours d'eau représente la flèche du temps qui s'écoule, alors l'avenir se trouve en aval et le passé en amont. A moins que...
Ce n'est que quelques jours après, suite à une journée de pêche à la truite avec Bruno, que Pietro trouvera la réponse : « Je commençai alors à comprendre que tout, pour un poisson d'eau douce, vient de l'amont : insectes, branches, feuilles, n'importe quoi. C'est ce qui le pousse à regarder vers le haut : il attend de voir ce qui doit arriver. Si l'endroit où tu te baignes dans un fleuve correspond au présent, pensai-je, dans ce cas l'eau qui t'a dépassé, qui continue plus bas et va là où il n'y a plus rien pour toi, c'est le passé. L'avenir, c'est l'eau qui vient d'en haut, avec son lot de dangers et de découvertes. Le passé est en aval, l'avenir en amont. Voilà ce que j'aurais dû répondre à mon père. »
Sources :
Les huit montagnes – Paolo Cognetti Traduction Anita Rochedy - Langue d'origine : Italien, Editions Stock. ISBN : 978-2234083196
Le vieil homme et la mer – Ernest Hemingway Traduction Jean Dutourd - Langue d'origine : Anglais (états-unis) Gallimard Folio. ISBN : 978-2070360079
Marianne - Rencontre avec Paolo Cognetti, qui remporte le Médicis étranger, propos recueillis par Hubert Prolongeau