top of page
David Moreno

L’improbable copie du cerveau humain – IA #2

Ces dernières années ont vu l'émergence de projets d'envergure visant à modéliser le fonctionnement du cerveau humain. Les approches sont toutes plus ou moins similaires : elles mixent a minima médecine, neurosciences et technologies informatiques. Si le défi est relevé, ce sera un sérieux coup d'accélérateur aux recherches en intelligence artificielle. Lancé en janvier 2013 par la commission européenne, le projet Human Brain Project (HBP), l'un des deux lauréats des « Initiatives phares des technologies futures et émergentes », vise rien moins qu'à fabriquer par simulation numérique un cerveau humain. Il s'agit de l'un des plus gros projets européens de recherche, avec un coût estimé à un peu plus d'un milliard d'euros sur 10 ans. Au trois quarts de son planning toutefois, les résultats sont très éloignés des exigences initiales. Explications d'un échec prévisible...


Le cerveau humain reste à ce jour plus énigmatique que l'Univers

Plusieurs dizaines d'instituts de recherches interdisciplinaires de 22 pays différents collaborent au Human Brain Project (HBP), réunissant des milliers de chercheurs en sciences cognitives, en biologie moléculaire, en médecine, en physique, en mathématiques, en informatique, en éthique... Nous ne parlerons pas des problèmes d'organisation, guerres intestines et autres conflits d'intérêts inhérents à ce genre de projet qui ont beaucoup freiné le HBP pour nous concentrer ici sur l'aspect scientifique... et montrer que sa non-faisabilité était courue d'avance, face à la complexité et aux mystères du cerveau humain.


Simulation de cerveau entier

La première étape d'une émulation du cerveau consisterait à finement le cartographier. Mais avec en moyenne 86 milliards de neurones (cellules nerveuses), il faudrait aussi cartographier les connexions entre chaque neurone, les fameuses synapses. Sachant qu'on estime à 10 puissance 15 (c'est-à-dire un million de milliards) le nombre de connexions dans un cerveau sain, et sachant surtout que les neurosciences ne savent absolument pas comment des cellules nerveuses peuvent créer de la pensée, nous percevons déjà combien le Human Brain Project est ambitieux !


Pourtant, ce travail de rétro-ingénierie qui consiste à analyser l'architecture des constituants d'un cerveau, à modéliser la dynamique des informations qui s'y échangent, puis à simuler ce fonctionnement dans un programme informatique a été réalisé avec succès... sur le plus petit cerveau du monde : celui du ver Caenorhabditis elegans, long d'environ un millimètre, qui possède 302 neurones ! Cet exploit technologique a été accompli par le collectif OpenWorm, réunissant plus d'une centaine d'ingénieurs et de scientifiques du monde entier. Ils ont téléchargé le programme informatique de l'activité neuronale d'un C. elegans dans un petit robot. Celui-ci est parvenu à se déplacer et à agir comme notre petit ver. Le résultat est impressionnant :


Les efforts déployés pour cette réussite avec seulement ses 302 neurones ont été colossaux : le projet a commencé en 2014 et les scientifiques estiment que la simulation est encore améliorable... Les ambitions de L'HBP sont donc très au-delà de ce que l'état des connaissances du cerveau humain et de la technologie permettent d'entrevoir.


En 2015, le HBP est réorganisé, son directeur remercié et les objectifs revus à la baisse. Il s'agit maintenant de développer un hub (plateforme d'échanges) permettant aux chercheurs de communiquer et collaborer en ligne pour mieux croiser les résultats de leurs recherches. La voilure du projet d’origine a été réduite à peau de chagrin...


Des neurones et des IA

Dès ses débuts, l'intelligence artificielle s'est inspirée du modèle biologique du neurone. En 1943, les Américains Warren McCulloch et Walter Pitts proposent en effet un modèle informatique du neurone formel, en s'appuyant sur les parties et les propriétés du neurone biologique connues de l'époque. La schématisation d'un neurone biologique comporte un corps cellulaire, des prolongements apportant des informations au neurone (les dentrites ou entrées du neurone) et des prolongements qui communiquent les informations recueillies par le neurone : terminaisons de l'axone (sorties du neurone). L'axone d'un neurone est connecté aux dentrites d'un autre neurone par l'intermédiaire de synapses.


Le neurone formel s'inspire du neurone biologique : il active un signal de sortie dépendant de la somme des signaux d'entrés. Le signal de sortie est propagé aux entrées d'autres neurones

Un réseau de neurones formels est constitué d'une série de couches de neurones, dans laquelle chaque neurone d'une couche donnée est connecté à plusieurs neurones de la strate suivante. Ces réseaux de neurones multicouches peuvent comporter des millions de neurones, réparties en plusieurs dizaines de strates.


La théorie des réseaux de neurones est ancienne, mais il a fallu attendre le début des années 2010 et l'apparition de processeurs extrêmement puissants pour que la recherche soit réactivée. Aujourd'hui, les réseaux de neurones en Deep Learning (apprentissage profond) sont utilisés partout dans notre quotidien : dans les prévisions météorologiques, la reconnaissance vocale et faciale, l'élaboration de nouveaux médicaments, le diagnostic de tumeurs cancéreuses... Ils excellent dans la reconnaissance de formes. Leur faiblesse : ils sont restreints à leur domaine d'application (Cf. Intelligence artificielle restreinte et générale – IA #1).


Quand les scientifiques essayent de simuler les mécanismes fins du cerveau humain, ils échouent (comme le Human Brain Project) ; mais lorsqu'ils cherchent juste à s'en inspirer et à les traduire en modèles de base programmables, cela peut fonctionner et même donner lieu à une révolution technologique (comme le neurone formel qui a conduit au deep learning). De la même manière, ce n'est pas la copie stricto-sensu du vol des oiseaux qui a permis la naissance de l'aviation, mais l'utilisation ingénieuse et simplifiée de leurs ailes.


De la cognition froide à la cognition chaude

La production des pensées, la capacité à raisonner et le fonctionnement de la mémoire sont fortement dépendants de nos émotions. Un événement joyeux, ou au contraire triste, va davantage persister en mémoire qu'un autre moins chargé émotionnellement. Et nous apprenons plus facilement dans le plaisir que sous la contrainte. C'est une évidence !... Pourtant, la psychologie cognitive (cognition froide) a pendant longtemps exclu de sa sphère d'étude les émotions, jugées trop complexes à « modéliser », voire embarrassantes... Ce n'est qu'avec les neurosciences et l'imagerie cérébrale que les cognitivistes sont peu à peu venus à les intégrer dans leurs recherches (cognition chaude). Le neuroscientifique Antonio Damasio est le premier à donner un coup de pied dans la fourmilière avec L'Erreur de Descartes, paru en 1995. Il soutient, à partir de patients atteints de lésions du cortex préfrontal qui endommagent l'émotivité, que les émotions sont nécessaires à la prise de décision complexe.


Les émotions participent à la cognition, mais les processus et leurs détails ne sont pas connus. Nous sommes bien loin de comprendre comment l'activité neuronale chez l'homme peut donner naissance à la pensée... Et de conclure avec Guillame Drion, ingénieur électricien et chercheur en sciences biomédicales à l'université de Liège : « C'est un peu comme quand on essayait de percer le mystère des étoiles sans avoir les équations de Newton. A cette époque lointaine, il fallait noter au quotidien la position de chaque étoile dans un carnet. En neurosciences, on est là ».









Sources :



Wikipedia (français) – Human Brain Project


Wikipedia – Le neurone formel






bottom of page