Pour la première année anniversaire de la mort de Manu Dibango, Chroniques Plurielles se devait de rendre hommage à cette figure populaire à la renommée internationale. Ce roi lion décède à l'hôpital de Melun, deux semaines après avoir été hospitalisé des suites du Covid-19 en mars 2020. Il demeurera dans les esprits de chacun un artiste infiniment vénérable, à l'avant-garde sur son époque et dont on ne cessera de redécouvrir le génie qu'il a apporté à la musique tout au long de sa vie.
Métissage des musiques africaines avec le Jazz
Les titres de la presse française, au moment de son décès, sont évocateurs de son influence sur la musique actuelle. Ils témoignent de l'admiration de tout un chacun pour cet artiste à la personnalité chaleureuse et au rire tonitruant. « L'icône camerounaise de la musique africaine s'est éteinte le 24 mars » titre France tvinfo. D’un père fonctionnaire et d’une mère couturière, Emmanuel Dibango, est né le 12 décembre 1933 à Douala au Cameroun. Accueilli en France à l'âge de 15 ans il poursuit sa scolarité en France, où il arrive avec pour seul bagage 3 kg de café. Le café étant un bien précieux à l'époque, l’histoire sera le titre de sa première autobiographie (2).
Surnommé Papagroove ou Papa Manu, il a été l'un des pères de la musique africaine d'aujourd'hui. Saxophoniste et chanteur, ses talents étaient multiples. Il maîtrisait aussi bien le piano que le vibraphone, le marimba, la mandoline et tout récemment le balafon.
Le Parisien lui rend hommage en titrant : « La légende de l'afro-jazz s'est éteinte à l'âge de 87 ans ». Le journal l'Humanité invente un mot spécifique pour ce passeur d'idées et de musiques entre l'Europe et l'Afrique. Il le qualifie « d’Afropéen aux bottes de géant ». Dans Jazzin (4), Franck Tenaille proclame la chute du Baobab. Pour lui, l'album Wakafrica, est un « safari musical qui met à contribution des artistes immergés dans le grand souk de la sono mondiale ». Manu réunit les plus grands : Angélique Kidjo, Salif Keita, Ladysmith Black Mambazo, King Sunny Adé, Papa Wemba, Youssou N’Dour, Ray Phiri, Ray Lema…, « Un album voulu comme une métaphore de la réunification de l’Afrique du Sud et de celle du Nord et dont la pochette représente la silhouette d’un Manu Dibango épousant la forme du continent », commente Franck Tenaille. Effectivement, Manu Dibango explique l'essence de son travail ainsi : « Quand se rencontrent des esthétiques différentes, quand se mêlent l’Afrique traditionnelle et l’Afrique contemporaine, qui doit faire le premier pas ? J’aime arranger, je suis amoureux des timbres, de leurs mélanges, amoureux du langage de ces musiques du terroir. C’est une langue initiatique qui concerne une ethnie, une partie de l’Afrique, mais pas tout le monde. La beauté de ce langage est si vive qu’il faut nécessairement la détourner pour l’élargir à un vaste public. C’est ce que j’ai essayé de faire avec ce disque constitué d’une forte présence de chanteurs et d’un alliage sonore plus secret ».
Avec l'album African Soul Quintet, en 1964, c'est la première fois qu'un Africain enregistre du jazz. De retour en France, il travaille avec les meilleurs chansonniers comme Mike Brandt, Dick Rivers, Michel Fugain et surtout Nino Ferrer dont il devient le chef d’orchestre.... Malgré une carrière très éclectique, ses fondamentaux restent une culture jazzique, vibrante.
Le journal Le Monde, le lendemain de son décès, lui rend un vibrant hommage en donnant la parole à Pit Baccardi, qui parle toujours de sa « source d’inspiration » au présent, comme si le Covid-19 ne l’avait jamais emporté. « C’est une icône, une encyclopédie vivante, une grande âme, une étoile. Il est très humain malgré toute son envergure, malgré toute sa dimension », énumère le rappeur et producteur .
Soul Makossa : le tube planétaire
Le Figaro met en exergue le phénomène qui a propulsé Manu Dibango sur la scène internationale : « L'auteur du tube planétaire Soul Makossa a marqué au fer rouge le monde de la musique ». Effectivement, en 1972, ce morceau déferle sur les ondes américaines et devient un air prisé, dansé dans le monde entier. Grâce à lui et son saxophone, l’approche de la musique camerounaise est radicalement transformée.
Manu Dibango est propulsé et devient célèbre. C’est le début d’une carrière internationale au cours de laquelle il explore divers courants musicaux mêlant les rythmes africains au reggae, à la musique cubaine, au funk, au hip-hop. « Ce sont ces rencontres entre variétés, pop et musique africaine… qu’il promène de l’Olympia à l’Apollo Theater de Harlem, en passant par l’Amérique Latine et bien entendu l’Afrique », commente Jérôme Partage, journaliste à Jazz Hot (5).
Depuis sa création, ce titre, merveilleux est toujours d’actualité. Il n'a pas pris une ride. Lorsque Michaël Jackson, Rihanna et d'autres le « samplent », il réclame des droits d'auteur aux maisons d'édition. Bien que sa carrière ait été fortement portée par le succès de ce tube planétaire, sa discographie est impressionnante par son volume et par l'originalité de sa musique inspirée de tous les continents. Il est ainsi à l'origine de l’émergence de la musique World.
Chroniques Plurielles vous propose de (re)découvir Soul Makossa à travers Youtube. N'hésitez pas à vous lever et à chalouper sur ce magnifique morceau du roi lyon.
Afrovision : un vinyle rare en son hommage
A la demande du label Soul Makossa qui gère les droits de Manu Dibango, un disque sortira exclusivement en vinyle le 24 mars, le jour J du premier anniversaire de sa mort.
A cette fin, le choix s'est porté sur l'opus Afrovision qui est sorti en 1976 sur le label Island dans sa version originale avec une pochette très rare, jamais commercialisé en Europe et seulement disponible en Angleterre et aux USA pour un tout petit pressage.
Il y a quelques mois, la label a confié les masters audio de ce sublime disque à Diggers Factory. Objectif ? Refaire un mastering adapté au pressage vinyle afin d'obtenir la qualité optimale du son et surtout retrouver la pochette originale si rare dont personne n'avait trace.
Laissons la conclusion à l'écrivain Eugène Ebodé
Eugène Ebodé écrit dans le Point : « Je viens d'apprendre la mort de Manu Dibango, ce long, longiligne et vibrant humain dont le prolongement naturel était le saxophone. C'était son stylo à lui, son micro, son crayon, son transistor en forme de « S » incliné qui lui a servi de porte-voix, de porte-son, de porte-plume, de ventre fécond, de porte ouverte au meilleur des langages parmi les humains dont il se disait le concierge. Sa jovialité naturelle, son rire sonore et de contralto, son sourire bienveillant, sa faculté à illuminer et à se fondre avec les autres l'avait déjà établi, de Douala à Lagos, d'Abidjan à Bamako, de Johannesburg à Alger, de Naples à Tokyo, de Paris à Pékin, de Bombay à New York, frère aîné, oncle, père, grand-père inoxydable et aimé » (6).
Notes et références :
(1) Pascal Kober, Ce photographe et journaliste grenoblois qui a édité l'Abécédaire amoureux du jazz, expose en ce moment Jusqu’au lundi 31 mai 2021 à la médiathèque Michel-Crépeau à La Rochelle (Charente-Maritime). 123 portraits de musiciens, dans un très bel espace dédié et une programmation associée des plus alléchantes. Pour plus d'information http://www.pascalkober.com
(2) Manu Dibango/Danielle Rouard, Trois kilos de café, Lieu commun, 1989. Une autre autobiographie sortira une vingtaine d'années plus tard: Balade en saxo, dans les coulisses de ma vie, L’Archipel, 2013.
(3) Pour en savoir plus sur le livre traitant du premier confinement dans le monde entier https://rosalie-hurtado.wixsite.com/rosalie