Aujourd'hui, une amie photographe et future psy, Delphine Maratier, me présente un artiste prometteur : Régis Vacaresse, trente ans, atteint de schizophrénie. Rencontre avec un jeune dessinateur à l’imaginaire fertile et corrosif, qui nous plonge en quelques traits dans l’enfer bouillonnant de son cerveau.
Nous avons rendez-vous avec Delphine et Régis au restaurant l’Atypik à Grenoble, où sont exposés cet été quelques-uns des dessins de Régis. Ce lieu associatif très convivial (où l’on déguste une cuisine maison bio et saine), dit aussi "Café Asperger", a été créé par des autistes et des familles concernées pour que les jeunes - et les moins jeunes, récemment diagnostiqués, trouvent des réponses à leurs nombreuses questions.
Frêle silhouette et chapeau noir, le jeune homme, muni de son carton à dessin, commente les quelques images qu’il a choisi d’accrocher ici, parmi les centaines de feuilles accumulées dans ses carnets.
D'emblée, on plonge dans son univers foisonnant de références aux mangas, aux jeux vidéo ou autres sources mythologiques. Certains symboles reviennent dans chaque dessin ou presque, comme cet œil omniscient qui nous observe dans le coin d'un triangle. Il y a aussi cette lettre Psi inversée - la signature de l'artiste -, visible ou cachée dans la plupart de ses dessins. Ou encore ce bracelet avec un numéro d'identification, chaque fois différent, que l'on retrouve souvent au poignet de ses personnages.
"C'est le numéro de ma chambre à l'hôpital psy, précise le jeune homme sobrement. J'ai fait plein d'allers et retours et à chaque fois, on m'attribuait une nouvelle chambre et un nouveau numéro."
Le trait est vif, voire fiévreux, avec ces petites phrases au vitriol qui ajoutent au trouble ressenti : "Le temps apporte ses graines de folie au détriment des éclairs de génie" écrit-il ainsi en marge d'un étrange sablier. Deux entonnoirs mis bout à bout sont brandis par deux mains que 30 ans séparent : celle de l’auteur bébé, nommément identifié sur le bracelet de la maternité, quand il n'était pas un simple numéro. Et une autre, longue et fine, qui s'agrippe.
Pensées hémorragiques
L'artiste en quelques coups de crayon nous emmène dans un tourbillon émotionnel dont on ne ressortira pas indemne. Ses images sont comme une invitation à pénétrer à l'intérieur de son cerveau. "J'ai commencé le dessin il y a une dizaine d'années, en 2007, en recopiant des mangas. C'est un moyen d'exorciser mes terreurs nocturnes", poursuit le jeune homme. Ouvrant le volumineux classeur où il a consigné une partie de ses œuvres, il égrène son parcours psychiatrique infernal, d'hôpital en clinique et de centre médico-psychologique en hôpital de jour, de rechutes en moments de rémission.
"Chaque dessin correspond à un événement. Celui-ci par exemple, a été réalisé en deux heures de voiture dans un embouteillage sur le périphérique de Paris : le personnage, c'est Robert Plant", dit-il. La longue tignasse du chanteur de Led Zeppelin nous apparaît alors dans un enchevêtrement de signes cabalistiques, en plein dans l'ambiance des seventies.
Cerveau qui saigne avec ses pensées hémorragiques. Scène de lithotomie, cette méthode moyenâgeuse moquée par Jérôme Bosch où l'on retire la pierre de la folie du front du malade. Montres molles à la Dali dont les aiguilles sont des squelettes. Autoportrait la tête dans les nuages, avec ces profils de psychiatres menaçants. Les images, très expressionnistes, parlent d'elles-mêmes. Elles crient la mort et la douleur qui rôdent à chaque instant : "Dans la psychose, cette peur est omniprésente."
Le dessin pour exorciser
La plupart du temps, Régis ignore ce qui va sortir de la feuille blanche : "Je pratique la technique de la suggestion primitive : je trace quelques traits de façon aléatoire, puis le dessin m'apparaît. Pour "Hydrocéphale" par exemple, j'ai d'abord vu un lapin, qui s'est transformé en bijou puis en insecte. C'était une nuit d'insomnie à l'hôpital. J'ai commencé à représenter une tête dans cet univers sous-marin peuplé de méduses, de roseaux et de racines : un cerveau inondé par un excès de liquide céphalo-rachidien, la suite m'est venue spontanément."
En 2012, le talent certain de Régis va commencer à être reconnu avec une première exposition à la maison des usagers à l'hôpital de Saint-Egrève. Le slameur Bastien Maupomé (dit "mots paumés") lui propose d’utiliser ses dessins pour un atelier avec des patients de Tony Lainé, l'unité pour ados du CHAI (Centre Hospitalier Alpes-Isere). « C’est la première fois que j’étais rémunéré comme artiste ! », se félicite-t-il.
Humour trash, détournement d’images. L’artiste – qui signe L’Oniriste ou GreenGleam, ses deux pseudos – a le sens de la formule qui fait mouche. Son moyen d'exorciser et de sortir de l'enfermement. Peu à peu il s'ouvre, souhaite exposer son travail. Depuis quatre ans, encouragé par une éditrice, Régis a aussi entrepris de raconter son histoire. Un témoignage poignant, en cours de finalisation, dont Delphine a pu lire les premiers chapitres : "C'est juste magnifique. Il faut absolument que tu le lises."
À suivre... sur Chroniques plurielles !