top of page
David Moreno

Botanique, mathématiques et autres curiosités

Si les mathématiques se sont avérées efficaces pour décrire les phénomènes physiques comme le mouvement des planètes (relativité générale) ou le comportement des atomes (mécanique quantique), elles ont montré moins de pertinence pour raconter le vivant. Il existe toutefois des contre-exemples… Partons à leur découverte, départ pour un voyage aussi étonnant que ludique !


Fleurs du Caucase au jardin botanique alpin du Lautaret. Crédits : tela-botanica.org

En 1202, le mathématicien italien Leornado Fibonacci (1175, 1250) publie un ouvrage fondamental, Le livre des calculs. Il y présente un système de comptabilité basé sur les chiffres arabes, dans une Europe encore tout imprégnée par les nombres romains. D’abord rejetée par les commerçants et les banquiers qui ne comprennent pas l’utilité du zéro – qu’ils confondent avec rien, pour ne pas dire le néant –, ce système se montre autrement plus puissant et commode que la notation latine. Véritable tournant dans la pensée occidentale, Le Livre des calculs recèle une autre merveille : la suite de Fibonacci.


Le savant de Pise s’intéresse à la croissance de la population de lapins à partir d’un couple de lapereaux initial. Pour modéliser leur démographie galopante, Fibonacci propose la fameuse suite éponyme où chaque terme est la somme des deux précédents. En fixant les deux premiers éléments à 1, on obtient la séquence de valeurs : 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55… Pour éclaircissement, la suite montre qu’il y a 34 couples de lapins au 9ème mois – résultat obtenu par addition du nombre de couples des 7ème et 8ème mois (13+21). Il convient toutefois de préciser que l’exercice est moins réaliste que théorique, et ressemble davantage à une expérience de pensée qu’à une expérimentation en bonne et due forme : dans cette modélisation, les lapins ne meurent jamais ! Il n’empêche qu’avec son principe de construction très simple, la suite de Fibonacci va révéler de nombreuses surprises, en particulier en botanique.


Fibonacci et le principe de parcimonie des plantes

Imaginons une forêt lumineuse de cyprès espacés. Le temps est clément, la balade pleine de promesses. À l’orée du bois, une étendue de tournesols éclatants ; à y regarder de plus près, un champ de nombres de Fibonacci voisins… Immergez-vous dans la mer jaune soleil et jetez votre dévolu sur un tournesol. La disposition centrale des graines (ou fleurons) se fait d’après deux ensembles de spirales qui s’entrecroisent : les unes s’enroulent dans le sens horaire tandis que les autres se déploient en sens inverse. On compte 34 spirales directes et 55 orientées dans le sens anti-horaire, soit deux termes successifs de la suite de Fibonacci. Selon la variété des tournesols, la paire varie : 21/34, 34/55 (la plus commune sous nos latitudes) ou 55/89, voire 89/144. Ce que l’on constate dans (presque) tous les cas : 2 nombres consécutifs de la suite de Fibonacci ! La même propriété s’observe pour les écailles des ananas et pommes de pin.


Cœur de tournesol et ses 2 ensembles de fleurons spiralés qui s’enchevêtrent en sens inverse : 34 dans le sens horaire et 55 dans le sens anti-horaire, 2 termes successifs de la suite de Fibonacci. Crédits : bernouilli.jacquet.ovh

Moins systématique mais souvent vérifié, le nombre de pétales des fleurs organisés autour d’un cœur est lui aussi fibonaccien : les boutons d’or possèdent 5 pétales, les soucis 13 et les marguerites 21. C’est pourquoi, nous sommes souvent amoureux (a minima un peu), lorsque nous jouons à : « Il/Elle m’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… pas du tout ! ». Il faut que le nombre de pétales de la marguerite soit un multiple de 6 pour qu’il n’y ait pas du tout d’amour ! Dans le même registre, nous comprenons pour quelle raison les trèfles à 4 feuilles sont difficiles à chasser.


Comment expliquer l’émergence de la séquence de Fibonacci dans le développement des plantes ? Par le principe de parcimonie, répondent les spécialistes, qui stipule qu’entre plusieurs possibilités, la nature choisit la plus cohérente, la plus économe en termes d’énergie et d’espace nécessaires et souvent la plus élémentaire… Bref, la plus optimale. Si les bulles de savon présentent une forme sphérique, et non pyramidale ou cubique, c’est à un simple théorème de la géométrie euclidienne que nous le devons. Cette loi énonce que de toutes les formes 3D enveloppant un volume identique, la sphère présente la surface la plus petite. L’existence de la suite de Fibonacci chez les plantes relève du même principe. Dotée d’une règle de construction rudimentaire, elle assure aux fleurons du tournesol une disposition optimisée : en nombre par rapport à la surface disponible et en structure courbée pour la protection des jeunes graines.


Des cigales calées sur des nombres premiers

Elles sont sous la terre, suçant leur nourriture aux racines capillaires des arbres et attendent l’année propice. Les cigales dites périodiques sortent par milliards au mois de mai dans plusieurs états de l’Est américain (le Maryland, l’Ohio, la Virginie, la Caroline du Nord…) pour perpétuer l’espèce et trépasser ensuite. Ces créatures de Mère nature sont un véritable miracle : elles n’émergent que tous les 13 ans ou 17 ans, tous deux nombres premiers. Il est possible que cette particularité unique les ait préservés d’un ancien prédateur, spécialement vorace et friand de cigales, lui aussi possédant un cycle périodique mais plus court – et une durée de vie de quelques semaines, comme les guêpes ou les fourmis par exemple…


L’hypothèse, formulée par le paléontologue américain Stephen Jay Gould (1941- 2002), se base sur des arguments évolutionnistes et une propriété simple des nombres premiers : si p est premier et n un entier plus petit que p, alors le plus petit multiple commun est égal à p × n. Comment cela peut-il procurer aux cigales périodiques un avantage ? Supposons que le cycle du prédateur soit de 3 ans. La confrontation entre le prédateur et les cigales (qui ont un cycle de 17 ans) se fera tous les 51 ans (17×3). Si nos cigales avaient un cycle de 18 ans, celle-ci aurait lieu tous les 6 ans. Un cycle rivé sur un nombre premier confère aux cigales un gain d’espérance de vie indéniable !


Alan Turing ou la passion des formes

Fondateur des calculateurs modernes et père de l’intelligence artificielle, Alan Turing (1912-1954) délaisse ses recherches en informatique quelques années avant sa fin tragique. Il se passionne alors pour la morphogenèse, l’étude des lois naturelles qui font qu’un organisme animal ou végétal adopte une forme plutôt qu’une autre. Le logicien élargit son horizon vers la biologie et tente de percer le secret des formes vivantes. Il élabore des modèles biomathématiques expliquant la formation de schèmes répétés, comme les motifs que l’on observe sur la fourrure des félins : les taches sur les guépards ou les rayures des tigres. La question majeure qui tarabuste le mathématicien est : comment passe-t-on d’un embryon parfaitement symétrique (sphère) à un organisme structuré mais nettement plus asymétrique ? Il déporte la problématique sur la création de motifs à partir d’une forme homogène, la « brisure spontanée de symétrie », qu’il modélise par des équations de réaction-diffusion de deux substances – dans le cas des fauves, une substance active la pigmentation du pelage tandis que l'autre l'inhibe. Ces équations seront validées dans un réacteur chimique en 1990, soit 40 ans après leur création.


Les équations de réaction-diffusion de Turing prédisent les motifs en tache sur le corps des guépards et leur transformation en rayure à l’extrémité de la queue.

La trajectoire intellectuelle d’Alan Turing est pour le moins sidérante de créativité et a montré qu’il était un scientifique hors-pair en avance sur son temps. Pour le meilleur et le pire, les ordinateurs et les algorithmes ont permis la révolution numérique que nous vivons aujourd’hui… On peut penser que ses travaux sur la production des formes dans la nature présagent leur importance dans la compréhension du vivant. Les découvertes de Turing ont bouleversé le XXe siècle. La biologie théorique et les progrès de la morphogenèse cellulaire pourraient significativement impacter la médecine des prochaines années.







Sources :

Leonardo Fibonacci – Wikipedia


Suite de Fibonacci – Wikipedia


Pourquoi aucune marguerite ne compte 6, 9 ou 12 pétales ?


Mathématiques et botaniques : nombre d’or, angle d’or, suite de Fibonacci et phyllotaxie


Nature : la suite de Fibonacci et les plantes


A tous les 17 ans : la très particulière saison des cigales s’achève aux Etats-Unis


Des milliards de cigales prêtes à déferler sur les Etats-Unis, après 17 ans sous terre


Les cigales et les nombres premiers


Pourquoi le test de Turing est une chimère – IA #7


Alan Turing, les motifs et les structures du vivant






Les formes et les couleurs sont à l'honneur dans le vivant...

Les Beatles dans Come Together, © 2015 Calderstone Productions Limited (a division of Universal Music Group) / Apple Films Ltd.









bottom of page